Portrait
de territoire
Comment tÕappelles-tu ?
Je ne mÕappelle plus. Les autres mÕappellent encore Į
la ville Č, ceux qui mÕont fuit comme ceux que jÕattire encore. Mais moi,
je sais bien que ne suis plus seulement cela, Į la ville Č. Alors
jÕattends quÕon mÕappelle pour ce que je suis dsormais, et je vis sans nom,
mais a ne me drange pas.
Quel ge as-tu ?
Des sicles et des sicles ou quelques heures peine.
Toujours, quelque part, un fragment de moi renat, qui me rajeunit par bribes,
au cot du dj l. JÕai tous les ges et toutes les mmoiresÉ
NÕest-tu pas fatigue ?
Oui, parfois, la lassitude mÕenvahit, mes rseaux
languissent, la ferveur me quitte, je sens des quartiers de moi sÕengourdir. Et
puis quelque chose renat, une extrmit ou une autre, comme si ce qui se
desschait ici devait toujours finir par repartir ailleurs.
Penses-tu lÕavenirÉ la mort ?
Bien-sr, comme tout le monde. Je sais que ne suis pas
immortelle. Je nÕoublie pas mes chres disparuesÉmais tant quÕil y a du sens, il
y a de la vie et je le laisse advenir, il me porte encore, presque malgr moi.
Ce nÕest pas trs ambitieux ? NÕas-tu pas tes propres
lans, tes passions, tes horizons ?
Ah, lÕhorizonÉ il sÕloigne toujours, comme tu saisÉ quant
mes lans, mes passions, si bien sr, cela mÕagite encore, que
crois-tu ! Mais tant de contradiction, de tumultes, de divergencesÉ quÕy
puis-je ? Je suis cette petite multitude, qui veut tout et son contraire.
Je suis la comptition spatiale. Je suis la bataille de lÕordonnancement, et du
foisonnement. Parfois, cela sÕapaise et ne je mÕy retrouve mieux, mais je crois
quÕau fond je prfre quand je suis dborde.
NÕy perds-tu pas tes repres ?
Et jÕessaye dÕen forger de nouveaux : des repres,
pour rparer, et roprer. Jadis des arbres remarquables, nagure des croix et
des mmoriaux, aujourdÕhui, jÕavoue que je cherche les symboles de ce que je
suis devenue, presque malgr moi, mais rien de presse, le temps fera le tri.
Petite crise dÕidentit, tout de mme ?
Oui, peut-tre, je vois bien quÕ force de grandir en tous
sens, quelque chose se dilue, dans la reproduction trop systmatique, Į
lÕidentique Č et lÕidentit sÕy perd. Je cherche ma singularit. Je sais
que sans cela rien ne me distinguera plus du territoire o jÕhabite.
Au fait, jÕoubliais, tu habites o ?
JÕhabite en Rouergue, jÕhabite en Alsace, jÕhabite la
Drme, jÕhabite les Yvelines, jÕhabite un peu partout en France, en Europe, et
dans le monde je suis la ville territoire, partout chez moi, cÕest un peu le
problmeÉ
En effet ! Comment se passe la cohabitation ?
É.
Martin Vanier,
Labo 1